Le journalisme est en crise, une crise de confiance, une crise de durabilité. Le modèle de l’adhésion offre une solution à ces deux problèmes.
L’adhésion est un contrat social établi entre une organisation médiatique et ses adhérents, dans le cadre duquel ces derniers investissent du temps, de l’argent, de l’énergie, leur expertise et leur réseau au profit d’une cause en laquelle ils croient. En échange, l’organisation médiatique leur offre la transparence et des possibilités de contribuer de façon concrète à la durabilité et au rayonnement de l’organisation.
Il s’agit d’une orientation éditoriale qui considère les lecteurs et les auditeurs comme bien plus qu’une source de revenu. Les adhérents apportent une contribution active à l’organisation. Dans ses formes plus poussées, ce modèle établit un échange réciproque de connaissances entre les journalistes et les adhérents. Vous pouvez ainsi repérer qui sont vos plus fervents appuis et les impliquer dans votre quête de rayonnement et de durabilité.
Dans de nombreux cas, l’adhésion est un accord permettant d’assurer que la presse reste gratuite pour tous. De nombreux adhérents ne veulent pas que la presse qu’ils soutiennent soit exclusive. Ils défendent ce type de presse et ont un intérêt à faire connaître leur cause à autant de personnes que possible.
Dans le secteur des médias, le modèle d’adhésion se compose de trois éléments :
La stratégie d’adhésion définit la manière dont l’adhésion s’intègre dans la vision de votre organisation, en déterminant par exemple comment financer votre journalisme et quel rôle accorder aux membres de vos publics, notamment du point de vue financier.
Les pratiques participatives sont des processus de travail qui connectent les membres des publics à la presse et aux personnes qui la produisent. Ces pratiques sont à la base de toute stratégie d’adhésion solide. Remarquez que l’on parle ici des membres de vos publics, qui représentent un groupe plus large que celui de vos adhérents.
Le programme d’adhésion est le produit par lequel vos lecteurs entrent en relation avec vous lorsqu’ils deviennent adhérents. C’est une plateforme permettant de gérer les données des individus qui apportent leur contribution à votre organisation. Lorsque les gens parlent d’adhésion, c’est souvent à cette plateforme qu’ils font référence. Elle comprend la page sur laquelle vous arrivez lorsque vous cliquez sur “devenir adhérent”.
Certaines organisations dotées d’un système d’adhésion n’ont pas encore mis en place ces trois éléments, et même lorsque c’est le cas, chacun d’entre eux est plus ou moins approfondi. Cependant, tous trois sont nécessaires pour une rédaction participative et inclusive fonctionnant au moins partiellement grâce aux contributions de ses adhérents.
L’adhésion n’est pas le seul modèle de revenu et d’engagement publics auquel peuvent souscrire les organisations médiatiques. Comprendre les différentes propositions de valeur et les ressources nécessaires pour chacun des modèles de revenus et d’engagement est crucial pour déterminer quel modèle est le mieux adapté à votre communauté et à votre organisation.
Qu'est-ce qu'un système d'adhésion ?
Qu’est-ce qui fait le succès des modèles d’adhésion ?
Le système de l’adhésion est relativement nouveau dans le domaine des médias, à l’exception de la radio publique, mais il a fait ses preuves dans d’autres mouvements d’intérêt public. Le Membership Puzzle Project a donc étudié les modèles mis en place par des églises, des camps de Burning Man, des projets de science citoyenne et d’autres mouvements reposant sur les membres d’une communauté, en quête des clefs de leur réussite. Cette recherche a mis en évidence cinq principes applicables au journalisme.
Il est très important d’écouter les membres, de tester et de se passionner pour ce qui est important à leurs yeux. Il s’agit d’un véritable changement de mentalité. Les médias axés sur l’adhésion réussissent non pas en présumant de ce que leurs adhérents veulent, mais en établissant des systèmes d’écoute et en développant des réflexions nouvelles sur leurs attentes réelles, ainsi que de solides boucles de rétroaction afin de s’assurer qu’ils prennent les bonnes décisions. Ils sont attentifs et prêts à apprendre. Ils mettent régulièrement en place des démarches plus souples que celles qu’ils utilisaient par le passé.
Les médias axés sur l’adhésion les plus mobilisateurs sont ceux qui relient les passions individuelles à un dessein commun plus large. Les médias qui réussissent offrent plus qu’un produit ou qu’une cause. Ils reconnaissent le mérite des individus et leur rendent hommage tout en leur permettant de se sentir connectés à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. Ils se placent en parfait équilibre entre l’individu et le groupe. Ce qu’ils proposent n’est ni un argument de vente (“20 % de contenu exclusif !”) ni une “cause” traditionnelle (“sauvez les baleines !”). Trouver cet équilibre (ce qui est ardu car il remet souvent en question les approches ou conseils marketing habituels) semble être l’ingrédient secret de nombreux mouvements auxquels le MPP s’est intéressé. Il influe sur la manière dont les mouvements envisagent la mission de leurs adhérents, sur leur “contrat social” et sur leur discours. Il ne s’agit pas seulement d’offrir des avantages aux adhérents, mais de s’appuyer sur l’étude des motivations intrinsèques et extrinsèques de ces derniers.
L’adhésion représente un moyen de réparer ce qui semble brisé. Beaucoup de personnes ont confié à notre équipe qu’elles nous rejoignaient en tant qu’adhérents car elles sentaient que quelque chose de fondamental dans le monde ou en eux était cassé. Elles cherchaient dans l’adhésion un moyen de faire partie d’une solution. Les programmes d’adhésion qui fonctionnent n’ont pas peur de se connecter au monde tel qu’il est. Ils s’intègrent dans l’air du temps, tel qu’il est, avec ses fissures et ses déséquilibres, et ils offrent à travers l’adhésion une base fiable sur laquelle cultiver l’optimisme.
Les modalités de participation doivent être flexibles. Les organisations auxquelles le MPP s’est intéressé sont à l’écoute des capacités, des objectifs, des limites et des modes de vie des gens. Elles offrent des modalités de participation variées et conçues pour optimiser le temps et les efforts investis par les adhérents. L’une des raisons pour lesquelles nous insistons sur l’importance de l’écoute est précisément qu’il est nécessaire de mieux comprendre les manières dont les membres veulent ou ne veulent pas participer. Les personnes soutenant ces organisations disposent d’une large gamme de modalités de participation conçues pour optimiser le temps et les efforts qu’ils y consacrent.
La croissance doit rester à échelle humaine. L’adhésion est une interaction entre êtres humains et non une transaction. Elle ne peut donc être entièrement automatisée, et sa croissance sera limitée à la capacité de l’organisation de servir ses adhérents. Le MPP a constaté que certaines organisations limitaient stratégiquement leur croissance afin de soutenir leurs adhérents et d’assurer que leur valeur ne soit pas diluée. Notre équipe de recherche pense que cela a des conséquences importantes qui peuvent permettre de rendre aux médias leur “aspect humain”.
En quoi l’adhésion diffère-t-elle de l’abonnement ?
Dans un modèle d’abonnement, les publics paient pour accéder à un produit ou à un service. Il s’agit d’une relation transactionnelle dans laquelle l’accès au contenu est monétisé. Ce modèle nécessite une forme de paywall. L’abonnement peut prendre de l’envergure bien plus rapidement que l’adhésion, car il ne requiert pas d’engagement ni de relation plus approfondie avec les lecteurs. Il appelle en revanche des contenus journalistiques exceptionnellement cohérents, de grande qualité et différenciés, ainsi qu’une bonne expérience utilisateur.
L’abonnement peut bien fonctionner pour les publications ayant un large public institutionnel dans des industries précises, ou dont le contenu offre de solides avantages professionnels. Des publications comme le New York Times, le Wall Street Journal, le Financial Times, The Ken et The Information en sont un bon exemple. Le succès de The Athletic montre qu’une communauté de fans passionnés peut aussi être une bonne base pour un modèle fondé sur des niveaux d’accès.
En 2017, Ben Thompson, fondateur de Stratechery, a expliqué pourquoi il avait choisi un système d’abonnement pour sa publication. Cela reste à ce jour l’une des explications les plus claires de la proposition de valeur qu’offre le système d’abonnement. Il écrit : ”d’abord, ce n’est pas un don : on demande à un client de payer pour un produit. Quel est ce produit ? Ce n’est pas un article en particulier. … Un abonné paie pour recevoir régulièrement une valeur déterminée.”
The Ken, une startup de journalisme d’affaires et de technologie fondée à Bangalore en août 2016, a lancé une formule d’abonnements en octobre de la même année. D’après le responsable produit Praveen Krishnan, plusieurs facteurs ont conduit The Ken à faire ce choix :
- Ils s’engageaient à offrir une presse très spécialisée et de niche, et ils estimaient que ce serait suffisant pour que les abonnés y trouvent de la valeur sans qu’ils aient besoin d’offrir d’avantages ou de participation supplémentaires.
- Ils n’essayaient pas de toucher tout le monde et ils ciblaient de futurs lecteurs qui auraient les moyens de payer un abonnement et qui verraient une utilité professionnelle aux publications qu’ils proposent.
- Les connaissances pointues de l’équipe leur permettaient d’offrir facilement un niveau d’analyse qui fasse une différence.
Ils ont depuis lancé une version pour l’Asie du Sud, sur abonnement également. Vous pouvez en apprendre plus sur leur parcours ici.
En quoi l’adhésion diffère-t-elle des dons ?
Dans un modèle basé sur les dons, les membres des publics donnent du temps ou de l’argent à l’appui d’une cause ou de valeurs communes. Il s’agit d’une relation caritative. Ce modèle peut être une bonne solution pour les publications couvrant des sujets relevant clairement de l’intérêt public. Si un domaine de couverture ne se prête pas à l’établissement d’une habitude ou à la construction d’une communauté, comme dans le cas d’un média se consacrant exclusivement au journalisme d’investigation et qui publie de manière irrégulière, ou d’un média qui publie principalement par l’intermédiaire de partenaires, un système de dons peut aussi bien fonctionner.
La ligne démarquant les dons de l’adhésion est plus floue que celle entre l’adhésion et l’abonnement. Les dons et l’adhésion sont tous deux basés sur une cause, et de nombreuses rédactions utilisent indifféremment les termes “adhérent” et “donateur”.
Aux États-Unis, les dons sont par définition exonérés d’impôts et sont versés à une organisation à but caritatif reconnue comme telle par l’agence fédérale de collecte des impôts. Certaines rédactions correspondent à cette description. Le statut fiscal des contributions des adhérents dépend quant à lui du statut fiscal de l’organisation et peut être imposable ou non selon les cas (le MPP est conscient que cette distinction ne s’applique pas forcément en dehors des États-Unis et encourage les organismes médiatiques à faire appel à un conseiller juridique dans leur pays concernant ces questions).
Ce qui diffère entre un modèle d’adhésion et un modèle de dons est l’attente concernant ce que l’on reçoit en échange du soutien que l’on apporte. Si vous hésitez entre les deux, tenez compte du niveau d’indépendance éditoriale dont vous avez besoin vis-à-vis de vos publics pour pouvoir remplir votre mission et du niveau de participation que vous êtes prêt à offrir. Les adhérents veulent pouvoir échanger avec votre organisation (sans interférer, ce qui est une distinction cruciale). Les publications comme ProPublica et Mother Jones sont de bons exemples de modèles basés sur les dons.
Chez Mother Jones, 71 % des revenus de 2019 provenaient des lecteurs (ils proposent également un abonnement à un magazine papier, qui a contribué à hauteur de 12 % des près de 17 millions de dollars de revenus de 2019). Le Shorenstein Center propose davantage d’informations sur la stratégie éditoriale et de revenus de Mother Jones.
L’éditeur Steve Katz résume le modèle basé sur les dons mis en place par Mother Jones depuis sa fondation en 1976 comme suit : “comment Mother Jones se positionne-t-il dans le monde, quel type de publications proposons-nous qui soient pertinentes vis-à-vis des problématiques que nous rencontrons et pourquoi l’appui des lecteurs est-il important ?”
Mother Jones s’est montré très efficace en ce qui concerne l’engagement en ligne de ses lecteurs. Le directeur marketing Brian Hiatt énumère certaines des principales manières dont les lecteurs collaborent avec le média : ils lisent leurs publications, les partagent, en discutent, les utilisent à des fins d’activisme et dans le cadre d’organisations locales et aident Mother Jones à toucher davantage de personnes. Tout cela intervient après la publication. C’est là que les modèles basés sur l’adhésion et ceux basés sur les dons divergent souvent. Dans les modèles basés sur les dons, l’engagement couvre généralement toutes les étapes de publication et les lecteurs ont la possibilité d’influencer la couverture médiatique.
“Au final, ce sont eux les lecteurs, et au final, ils participent à rendre tout cela possible”, a déclaré Hiatt, tout en précisant que de nombreux donateurs se qualifiaient eux-mêmes de membres en raison du fort engagement qu’ils ressentent envers Mother Jones.
En quoi l’adhésion diffère-t-elle du crowdfunding ?
Dans un modèle basé sur le crowdfunding, ou financement communautaire, les membres des publics fournissent une contribution ponctuelle pour soutenir un projet défini. Le crowdfunding peut être une solution pour les publications ayant une idée qui peut être testée grâce à une levée de fonds unique ou celles qui ont la capacité de faire un sprint mais pas un marathon. C’est une bonne manière de tester l’enthousiasme du public pour une idée avant de réorganiser toute la rédaction autour de cette dernière et d’en savoir plus sur les personnes qui vous soutiennent.
De nombreuses organisations qui ont mis en place un modèle d’adhésion ont commencé par une campagne de crowdfunding, et utilisé cette campagne pour voir si les publics étaient prêts à soutenir leur organisation de façon plus concrète. Certains médias mettent en place une série de campagnes de crowdfunding avant de passer à un système d’adhésion pour un soutien plus récurrent, comme La Silla Vacia en Colombie. D’autres ont considéré les contributeurs de leur campagne de crowdfunding comme leurs premiers adhérents et sont directement passés à un programme d’adhésion, comme Krautreporter en Allemagne et De Correspondent aux Pays-Bas. D’autres encore, comme The Tyee au Canada, continuent de mener des campagnes de crowdfunding pour financer certaines initiatives, même après avoir mis en place leur programme d’adhésion.
Comment The Tyee monte une campagne de crowdfunding en une semaine
Chaque campagne est articulée autour d’une promesse de changement et suit un modèle qui a fait ses preuves.
Comment savoir quel modèle d’engagement et de revenu nous convient le mieux ?
Une tentative mal réfléchie de mettre en place un modèle d’adhésion peut conduire à une désillusion et à du cynisme chez les personnes qui sont devenues adhérentes mais n’ont jamais eu de possibilités d’engagement concret par la suite. L’adhésion n’est pas un autre nom de l’abonnement, ni une campagne de marque qui peut être activée ou désactivée à volonté.
Si vous envisagez de mettre en place un système d’adhésion, il est impératif de bien réfléchir au niveau d’engagement éditorial que vous souhaitez et pouvez avoir avec vos publics.
De nombreux aspects doivent être pris en considération pour répondre à cette question, y compris ceux du temps que devra y consacrer votre personnel et de l’investissement financier (aller à “Déterminer les ressources humaines nécessaires” ; aller à “Établir un business case”). Pour la plupart des médias, aujourd’hui, passer à un modèle basé sur l’adhésion est un changement de culture. Cela demande une réflexion approfondie et une direction déterminée.
La prochaine partie, “Comment savoir si nous sommes prêts à passer à un modèle d’adhésion“, vous aidera à évaluer si le système d’adhésion est adapté à votre organisation.
Les trois modèles de revenus et d’engagement publics, soit l’adhésion, l’abonnement et le don, ne sont pas mutuellement exclusifs. Les modèles mixtes sont d’ailleurs de plus en plus courants.
- The Guardian est un média basé sur un système d’adhésion, mais il propose aussi plusieurs abonnements pour des produits spécifiques et la possibilité de contribuer grâce à des dons ponctuels.
- Le Seattle Times, dont le modèle est basé sur les abonnements, a mis en place le Fonds d’investigation du Seattle Times, financé par des dons. Nombre des publications anciennes basées dans des villes des États-Unis cherchent dans le système d’adhésion un système hybride entre leur modèle principal basé sur les abonnements et un modèle basé sur les dons.
- ProPublica opère selon un modèle basé sur les dons, mais offre également un niveau d’engagement des publics plus représentatif des rédactions fonctionnant avec un système d’adhésion. Cela peut donner aux donateurs le sentiment d’être des adhérents.
- Malaysiakini publie gratuitement ses contenus en malais et propose des abonnements pour accéder à ses contenus en chinois et en anglais. Les abonnés ont la possibilité de souscrire à un programme d’adhésion, qui leur donne notamment accès à la communauté en ligne réservée aux membres, Kini Community.
Le secret de ces modèles mixtes est une communication claire avec les membres des publics afin qu’ils puissent choisir le mode de soutien qui correspond le mieux à leurs motivations.
Les paywalls sont régulièrement proposés comme alternative au système d’adhésion. Cependant, ces derniers sont présents dans les modèles basés sur les abonnements comme dans ceux basés sur l’adhésion. Ils représentent l’un des nombreux outils permettant aux médias d’encourager leurs publics à payer pour accéder à leur contenu. Si la proposition de valeur du système d’adhésion, dans sa forme idéale, part du principe de “payer pour que les informations restent gratuites pour tous”, de nombreuses rédactions fonctionnant avec un système d’adhésion ont également un paywall de quelque sorte.
Comme le chercheur Eduardo Suárez l’a écrit en février 2020, “la différence entre les modèles basés sur l’adhésion et ceux basés sur l’abonnement est plus floue que jamais. Certains médias dont le modèle est basé sur l’adhésion ont des paywalls très restrictifs, tandis que des journaux fonctionnant par abonnement offrent des possibilités d’accéder au contenu au moyen de périodes d’essai gratuites, via les réseaux sociaux ou par des systèmes de recherche. Les médias qui réussissent le mieux ne sont pas prisonniers de leurs modes de financement. Ils les adaptent en fonction du comportement de leurs publics et testent des forfaits et des sources de revenus alternatives. Le format de votre paywall doit n’être que l’un des éléments de votre proposition de valeur”.
Que veulent les adhérents potentiels ?
Au début de ses recherches, le Membership Puzzle Project a interrogé plus de 200 personnes soutenant des médias autour du monde, que ce soit en donnant de leur temps, de l’argent, des idées ou leur expertise, afin de comprendre ce qui motive les membres des publics à soutenir ce travail. Six thèmes communs en sont ressortis :
Ces thèmes ne remplacent pas une étude d’audience. Une fois les besoins de vos publics définis, vous devez trouver comment y répondre. Voyez donc ces thèmes comme le point de départ d’une consultation de vos membres en vue de définir comment mieux les servir.
Impliquez-moi sincèrement : les sites qui suscitent l’intérêt sont inclusifs et participatifs : ils proposent de nombreuses façons pour les personnes extérieures à l’organisation de participer et d’offrir leurs connaissances. Hormis la sempiternelle invitation à répondre à des appels téléphoniques lancée à la radio publique pendant les collectes de dons, il existe de nombreuses façons pour les publics de rendre service de manière pertinente et personnalisée.
Soyez authentiques avec moi : les personnes soutenant un média ne veulent pas faire face à une institution désincarnée, ils attendent des employés et des pigistes qu’ils leur montrent qui ils sont, ce sur quoi ils travaillent, comment les publics peuvent y contribuer et d’où ils viennent. Elles aiment que le personnel sur site soit transparent et leur montre comment les décisions éditoriales sont prises et comment ils utilisent leur argent et celui d’autres sources de revenus. Le mieux étant lorsque l’organisation rend visible le travail qu’il y a derrière les articles (temps, collaborations, voyages etc.) et propose aux publics des actions à entreprendre en lien avec les sujets auxquels ils s’intéressent.
Soyez humbles : les responsables de l’organisation se corrigent rapidement lorsqu’ils se trompent. Ils sont conscients de ne pas avoir toutes les réponses. Ils demandent de l’aide à ceux qui seraient en mesure de l’offrir, notamment grâce à leur expérience personnelle ou leur expertise professionnelle.
Démarquez-vous des informations quotidiennes : les personnes soutenant un média font appel à leur jugement pour déterminer quels sites d’informations offrent une couverture de grande qualité qu’ils ne peuvent trouver nulle part ailleurs. Ils cherchent ceux qui proposent des points de vue intelligents sur les questions et les traitent avec profondeur et intégrité et d’un point de vue autrement peu traité.
Utilisez mon attention à bon escient : le site, les newsletters, les podcasts ou les applications sont conçus pour offrir à l’utilisateur une expérience calme et attentionnée. Ils se différencient des expériences cacophoniques auxquelles la plupart des personnes consultant les informations sur des sites ou à la télévision sont confrontées quotidiennement. Ne saisissez pas l’attention de vos adhérents, accordez-leur la vôtre.
Travaillez toujours et uniquement pour l’intérêt général : les publics souhaitent de plus en plus soutenir des journalistes et des projets dont ils croient qu’ils agissent de bonne foi et dans leur intérêt. Comme on peut le constater dans la presse, le gouvernement, les réseaux sociaux et bien d’autres espaces, le fait de fonctionner en processus fermé mystifie les gens et les frustre. Cela peut donner l’impression que nous avons des choses à cacher, et (naturellement !) engendrer de la méfiance et une attitude de rejet.
Comment se présente le modèle d’adhésion lorsque la presse est menacée ?
Nombre des recommandations que vous trouverez dans ce guide partent du principe que vous pouvez être transparents sur l’identité de vos journalistes et de vos adhérents, ce sur quoi vous travaillez et quelles sont vos sources de financement, en toute sécurité. Ce qui n’est évidemment pas toujours le cas. Le MPP encourage les médias œuvrant dans des environnements autoritaires et antilibéraux à voir ces recommandations comme des idées catalytiques plus que comme des instructions.
Le site d’informations en ligne Rappler, aux Philippines, dont la fondatrice Maria Ressa a été condamnée en 2020 pour cyber diffamation, en est l’exemple le plus frappant au moment de la publication de ce guide. Mais de la Hongrie à la Malaisie en passant par le Brésil, les attaques contre la presse ont rendu plus difficile le maintien de certains des principes de base du modèle de l’adhésion, en particulier la transparence et la participation.
Au moment de la publication, le rédacteur en chef de Malaysiakini, Steven Gan, est accusé d’outrage au tribunal pour plusieurs commentaires publiés par des lecteurs sur un article. Cela a étouffé le dynamisme de leur communauté en ligne, la Kini Community, les membres s’inquiétant que Malaysiakini soit forcé de rendre publique la liste de ses abonnés et adhérents et que le Gouvernement ne prenne des mesures répressives contre eux. Malaysiakini fonctionne selon un modèle mixte qui offre aux abonnés la possibilité de participer à des activités réservées aux membres, dont la Kini Community, sans que cela soit obligatoire, notamment parce qu’être “adhérent” de Malaysiakini est plus risqué que d’en être un simple abonné.
Pourquoi Malaysiakini a combiné ses programmes d’adhésion et d’abonnement
Compte tenu des attaques du gouvernement, Malaysiakini savait que les lecteurs ne seraient pas à l'aise avec le terme.
En Hongrie, Atlas.zo fait face à ce problème depuis des années. Lors de la Conférence du Global Investigative Journalism Network (GIJN) de 2019, l’éditeur Támas Bodoky a recommandé que les médias donnent aux publics la possibilité d’apporter une contribution financière anonyme, y compris par mandat postal et d’utiliser les attaques gouvernementales comme une raison de soutenir un média.
Dans les cas où un haut niveau de transparence pourrait avoir des conséquences négatives sur vos employés du point de vue émotionnel ou physique, vous pouvez partager ce que vous pouvez sur les raisons pour lesquelles vous protégez ces informations et la manière dont cela s’articule dans votre mission.
Dans quelle mesure devons-nous impliquer nos adhérents ?
Le degré auquel chaque rédaction implique ses adhérents peut grandement varier. À une extrémité, on a une adhésion passive, à l’autre une adhésion active.
En établissant sa base de données sur les programmes d’adhésion dans les médias, le Membership Puzzle Project a commencé à distinguer deux modèles d’adhésion, une adhésion passive et une adhésion active. Dans le cadre d’une adhésion passive, les adhérents sont similaires à des donateurs. Ils apportent un soutien financier et ils lisent et partagent les articles publiés. C’est ce que l’on peut trouver dans une organisation disposant d’un programme d’adhésion mais n’ayant pas mis en place de pratiques participatives. De nombreuses stations de radio publiques correspondent traditionnellement à cette description, bien que leurs programmes d’adhésion deviennent aujourd’hui bien plus participatifs.
Lorsque les programmes d’adhésion prennent une certaine ampleur, ils peuvent se rapprocher d’un modèle d’adhésion passive. En raison de l’ampleur du programme d’adhésion du journal The Guardian (plus de 800 000 membres en avril 2020), l’organisation a dû limiter la fréquence des occasions d’engagement plus poussé qu’elle offrait. C’est pourquoi les modèles basés sur l’adhésion ne peuvent être mis en place à la même échelle que les autres modèles de revenus et d’engagement.
Dans le cadre d’une adhésion “active”, les membres participent financièrement et lisent vos articles, mais ils sont aussi présents lors d’événements, ils proposent des conseils et des retours, répondent aux appels, partagent leurs connaissances et échangent avec les journalistes. Cette relation est plus forte et plus étroite. Elle engendre une boucle de rétroaction constante entre le média et ses adhérents et le média offre en général différentes occasions de participer qui intéressent différents types de publics. De nombreuses organisations dont le modèle est basé sur les abonnements ont cultivé une telle relation “active” avec leurs abonnés. Elles ont mis en place des pratiques participatives, mais pas de programme d’adhésion officiel.
L’une des formes les plus “actives” d’adhésion est de proposer aux adhérents d’acheter des parts de l’organisation, comme le font les coopératives médiatiques. Dans des coopératives comme le Bristol Cable au Royaume-Uni et The Devil Strip en Ohio, aux États-Unis, les adhérents sont également actionnaires. Ils jouent un rôle dans la prise de décisions stratégiques en participant notamment aux assemblées générales annuelles. Au Bristol Cable, les adhérents-actionnaires élisent le conseil de direction (et peuvent s’y présenter) et ont également aidé le personnel sur d’autres plans, comme en élaborant une politique publicitaire éthique.
Les deux types d’adhésion ont chacun leurs avantages. Le modèle passif est moins onéreux en termes de temps du personnel et d’infrastructure car les coûts de coordination sont quasi-inexistants et les transactions peuvent être automatisées. C’est aussi un modèle plus acceptable pour les adhérents qui n’ont pas de temps à consacrer au média.
Les formes plus actives d’adhésion créent des liens plus forts entre le site et les personnes qui le soutiennent et ces dernières sont plus susceptibles de payer des dividendes pour les activités journalistiques elles-mêmes. Elles s’attaquent aussi directement aux problèmes d’opacité et de distance avec la communauté, ces mêmes problèmes qui ont conduit à une profonde méfiance entre les organisations médiatiques et les communautés qu’elles servent. Cependant, les modèles d’adhésion plus active demandent davantage de temps et nécessitent des efforts concertés entre le personnel des informations, du développement et du marketing.
Naturellement, toutes les personnes qui soutiennent votre organisation ne voudront pas forcément participer. En Argentine, Red/Acción a tant mis l’accent sur les possibilités de participation offertes par l’adhésion que certains lecteurs ont reconnu avoir envisagé d’annuler leur adhésion, se sentant coupables de ne pas tirer parti de ces possibilités présentées comme étant au cœur de l’expérience. De nombreux membres se contenteront de voir que vous proposez ces possibilités et que d’autres en profitent. La participation des adhérents à De Correspondentsuit la règle du 90/10/1 : 90 % des membres ne feront que consommer le produit, 10 % échangeront avec vous et 1 % de ces 10 % deviendront des contributeurs majeurs.
Dans quelle mesure l’adhésion nous sera-t-elle profitable ?
Là encore, la réponse se présente sous forme de spectre. En tant que source de revenus, le système de l’adhésion peut varier du “moyen de subsistance“ (que le MPP utilise pour décrire les organisations où l’adhésion représente plus de la moitié des revenus) à la “discipline“ (celles où l’adhésion ne représente qu’une fraction des revenus mais aide à consolider une culture centrée sur les publics). Les systèmes d’adhésion sont presque toujours mis en place en vue de diversifier les sources de revenus et très peu d’organisations sont entièrement financées par les revenus issus de l’adhésion (aller à “Établir un business case”).
Aux États-Unis, les rédactions en ligne déjà bien établies qui sont financées par de petites sommes d’argent comme Texas Tribune, VTDigger et Mother Jones tirent entre un cinquième et un tiers de leurs revenus de personnes donnant de petites sommes, dont la plupart sont des adhérents. Certaines rédactions en ligne plus récentes et axées sur les adhérents ont également pu tirer entre 20 et 33 % de leurs revenus de l’adhésion. Quelque 25 % des revenus du Daily Maverick proviennent de son programme d’adhésion, mis en place il y a deux ans. Avec suffisamment d’investissement dans une solide expérience adhérent, l’adhésion peut devenir la principale source de revenus d’une rédaction, comme c’est le cas pour De Correspondent, El Diario et WTF Just Happened Today.
De nombreuses organisations mettent en place un système d’adhésion à la fois comme source de revenus et parce que le fait de servir des adhérents, en particulier lorsque la charge est distribuée sur l’ensemble de la rédaction, offre une certaine discipline et une certaine infrastructure qui peuvent aider à consolider une pratique centrée sur les publics. L’adhésion offre également aux investisseurs potentiels une preuve solide de la mobilisation de la communauté.
Parmi les 40 rédactions centrées sur les adhérents et réparties dans le monde entier qui figurent dans le fichier de données établi par le MPP, six tirent entre 20 et 33 % de leur revenu total des contributions d’adhérents. Ci-dessous, l’équipe de recherche a choisi et anonymisé quelques réponses de rédactions publiant principalement en ligne et représentatives de différentes compositions de revenus.
Trois d’entre elles sont des rédactions d’Amérique du Nord et deux d’Europe. MPP a également reçu des réponses de rédactions d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, mais ne communique pas la composition de leurs revenus par respect pour leur anonymat, certaines particularités de leurs sources de revenus les rendant facilement identifiables.
Comment concilier l’adhésion avec notre engagement en faveur de l’équité ?
L’adhésion est un système de subventions dans lequel ceux qui peuvent apporter un appui au média le font, au moins en partie dans le but d’assurer que ses publications restent accessibles à tous. Cependant, il existe une tension croissante entre la mission de service public des rédactions axées sur les membres et le fait d’avoir un programme d’adhésion, qui par nature tend à l’exclusivité.
Certaines organisations acceptent que des personnes soient privilégiées. Mais de plus en plus peinent à concilier leur engagement en faveur de l’équité et de l’inclusion et une base d’adhérents définie par leur appui financier qui soit plus aisée et moins diverse que la communauté que l’organisation est là pour servir. Cette tension est particulièrement forte dans les sociétés où seule une minorité peut se permettre de payer pour accéder à des informations.
Plutôt que d’éliminer cette tension, le Membership Puzzle Project recommande aux médias de la reconnaître et de l’assumer. Voici trois exemples :
Scalawag, un magazine numérique sur le Sud des États-Unis, “met en lumière les opinions divergentes, remet en question les récits dominants, recherche la justice et la libération, et affirme sa solidarité avec les personnes et les communautés marginalisées du Sud”. Leur base d’adhérents est plus blanche et plus aisée que la communauté qu’ils s’engagent à servir. Pour eux, l’adhésion est une forme de redistribution des richesses et de compensation par la voie des médias.
City Bureau, un laboratoire de journalisme civique de Chicago, propose un programme d’adhésion visant à fournir un appui financier récurrent. Ils ont également des documentalistes, des habitants de Chicago qu’ils forment et paient pour assister à des réunions du gouvernement local et en faire rapport. Les documentalistes ne sont pas des adhérents au sens traditionnel : au lieu qu’ils soutiennent City Bureau financièrement, City Bureau les rémunère. Mais le média considère les documentalistes et les appuis financiers comme étant également adhérents. Maldita, en Espagne, a mis en place un système similaire. Ils ont des ambassadeurs, qui sont leurs appuis financiers et des “contributeurs avec des super-pouvoirs”, qui sont des lecteurs qui offrent leur expertise pour aider Maldita à lutter contre la désinformation.
Pour Frontier Myanmar, une startup publiant en anglais et en birman basée à Yangon, l’adhésion est un forfait comprenant des produits premium qui leur permet de garder les articles de base accessibles gratuitement dans les deux langues. L’équipe du Frontier savait en lançant leur système d’adhésion que la majorité des lecteurs qui pourraient le payer ne seraient pas locaux. Quelque 80 % de leurs adhérents sont des expatriés au Myanmar ou des personnes vivant à l’extérieur du pays.